10 mai 2020

Reportage à la Distillerie de Fontagard

Distillerie de Fontagard

Société familiale de fabrication cognac et spiritueux

Commençons par une anecdote !

Depuis le lycée, j’emprunte quelques fois cette route de Charente-Maritime, entre Jonzac et Jarnac-Champagne pour y retrouver une très bonne amie. Cette route fait passer ses voyageurs par la ville de Neuillac et sur une portion, nous traversons une propriété magnifique de part et d’autre de la voie. En passant en voiture, on voit d’un côté un grand bâtiment de pierre et de brique, type hangar, avec une immense porte en bois. Vous savez, ce genre de porte où l’on se sent tout petit et qui nous donne envie de l’ouvrir pour voir ce qu’elle y cache.
De l’autre côté : un grand portail d’où l’on devine une maison bourgeoise de pierre blanche typique de Charente-Maritime. Juste après, il y a cette entrée de colonnes qui laisse découvrir de beaux bâtiments avec au fond, une plus petite maison de brique et de pierre blanche qui lui donne un charme fou. Vous l’avez compris, les quelques fois où je passais par-là, je ne pouvais m’empêcher de ralentir un peu pour la regarder. J’aime ce genre de lieu, empreint d’âme et de charme, qui réveil notre imaginaire d’enfant.
 

Bizarrement, je suppose que mes yeux étaient tellement attirés par la bâtisse, que je n’ai jamais vu les immenses cuves extérieures et cette seconde entrée par une petite route perpendiculaire avec écrit en gros : distillerie de Fontagard ! Si bien qu’une fois arrivée à Fontagard pour réaliser un reportage photographique, j’ai été émerveillée par cette coïncidence !

Parlons maintenant de l’histoire de ce lieu et de ce qu’il abrite

La distillerie de Fontagard daterait de la première moitié du 19ème siècle. La distillerie, elle, naît il y a exactement 150 ans, avec un premier alambic installé en 1870 par Jean Granchère. Cet alambic servira à produire exclusivement du cognac, pour la grande maison Otard (aujourd’hui Baron-Otard). Actuellement, la distillerie travaille pour Rémy Martin, Courvoisier et Hennessy. Succédera à Jean trois générations père-fils : Ernest, René puis Jean (2ème du nom !) en 1960, qui décédera prématurément. C’est alors sa femme, Marie-Thérèse Granchère qui prendra la distillerie en charge. Nous sommes alors en 1965, Marie-Thérèse est institutrice (et le restera pendant 20 ans encore) et mère de deux enfants. Elle n’est pas formée au métier ni familiarisée avec le monde de la production de cognac.
Elle sera cependant bien épaulée et secondée par deux personnes qui se rendront disponibles et l’aideront pour l’aspect administratif et comptable de l’entreprise, ainsi que pour le processus de distillation. Marie-Thérèse se souvient de son premier rendez-vous avec André Hériard- Dubreuil, gérant de Rémy Martin, qui se transformera en une vraie rencontre qu’elle se remémore avec émotion : « C’était un très grand monsieur, dans ce bureau immense. J’étais très impressionnée. Quelle rencontre ! Je m’en souviendrai de cette visite !». Elle obtiendra des contrats auprès de Rémy Martin, pour qui la distillerie continue de travailler aujourd’hui. C’est à partir de 1976 que Marie-Thérèse investira pour la rénovation et la modernisation de la distillerie.
 

A l’époque, il y avait très peu de femmes dans ce milieu (elles n’étaient que deux !), mais elle reconnaît avoir été bien acceptée : « J’avais pourtant la trouille, quand on n’est pas du métier… ». Marie-Thérèse confie ne pas toujours avoir été à l’aise et évidemment cela n’a pas toujours été simple. Mais aujourd’hui nous pouvons dire que ces années dessineront le confort et la prospérité actuels de la distillerie. Et c’est un véritable succès dont Marie- Thérèse peut être très fière !

portrait du doyen de la distillerie

Contrairement à ce que nous pourrions penser, il n’était pas écrit que Dominique Granchère, fils de Marie-Thérèse et Jean Granchère, devienne à son tour dirigeant de la distillerie. En effet, sa maman ne le pousse pas à envisager ses études pour la distillerie et le laisse libre d’écrire son avenir professionnel. Après des études en pharmacie, Dominique choisit de rejoindre un cursus d’œnologie. Il obtient son diplôme en 1981. C’est suite à son mémoire Les débouchés hors cognac que Dominique se voit proposer un poste d’œnologue à la Chambre de l’Agriculture de Charente. Il occupera ce poste pendant trois ans.

Dans les années 85-86, à la demande des viticulteurs de la région de Cognac qui souhaitent se regrouper pour survivre à la crise du cognac pointant le bout de son nez, Dominique Granchère et son associé montent une cave coopérative : la coopérative des Coteaux de Montagan. Celle-ci, composée de plus de 300 adhérents, produisant des millions de litres de vin de table par an expédiés partout en Europe sera inaugurée par le Ministre de l’Agriculture. Ce fût un événement dans le Cognaçais, cette notion de cave coopérative, qui plus est pour du vin de table (peu connu et peu travaillé) ne faisait pas partie de la culture de la région de Cognac ! Dominique sera directeur technique de cette coopérative pendant sept ans. Puis, grâce au marché japonais qui s’installe avec force, le cognac sort de la crise. La coopérative n’ayant plus lieu d’exister, celle-ci est reprise par les viticulteurs qui utiliseront ses installations pour travailler l’ugni blanc[1] à destination du cognac, son rôle premier. Malheureusement, la reprise d’activité du précieux spiritueux sera de courte durée et la crise de 90 est bel et bien présente.

C’est là, en 1992, que Dominique rejoint la distillerie familiale de Fontagard où il travaillera un an avec sa maman avant que celle-ci profite de sa retraite, bien méritée ! Fort de ses expériences en œnologie et au sein de la coopérative de Montagan, Dominique installera d’autres cuves pour fabriquer du vin de table et permettre la survie de la distillerie. Petit à petit, le cognac et sa production reprendra sa place. L’activité se développe de nouveau et Dominique procédera lui aussi à la modernisation de la distillerie, toujours dans le respect des matériaux et du savoir-faire de l’époque qui n’est plus à défendre et est gage de qualité.
Il remplacera et investira dans de nouveaux alambics neufs qui sont aujourd’hui au nombre de 10. Nous pouvons apprécier ici ces chaudières de briques et ces cuves de cuivre, propres aux distilleries charentaises. Certes, conserver ces installations entraîne un coût global d’entretien et de restauration plus important mais c’est bel et bien le cuivre qui fait toute la qualité d’une belle eau-de-vie (associé à l’expertise du distillateur évidemment !). C’est avec ses grandes propriétés de métal conducteur que la chaleur reste parfaitement uniforme tout le long du processus de distillation et c’est aussi lui qui permet de développer toutes les qualités olfactives de l’eau-de-vie.
 

Qui plus est, c’est bien cette association de couleurs chaudes, bordeaux, de textures brutes et brillantes qu’offrent les briques et le cuivre qui confère cette magie au lieu. Dès que l’on entre, nous sommes obligés d’observer un moment d’admiration et de silence presque religieux imposé par ce qui se dégage de l’endroit : l’esthétique, la chaleur des chaudières, l’odeur des effluves et l’écoulement continue de la précieuse eau-de-vie.

Vous devinez un peu plus maintenant mon souhait d’immortaliser en images ce genre d’endroit, trésor de notre terroir et savoir-faire local reconnu dans le monde entier.

Projetons-nous maintenant en 2 0 1 3 . . .

…avec l’arrivée de la 6ème génération qu’incarne Adrien Granchère, actuel gérant de la distillerie familiale de Fontagard. Comme son père, c’est par choix personnel qu’Adrien se lance dans des études de l’univers de l’œnologie et du spiritueux. Adrien commencera par un BTS Viticulture et Œnologie en alternance à Vayres, qui lui permettra de faire de nombreux stages, notamment en Afrique du Sud, dans chaque corps de métier du secteur viti-vinicole. Il obtiendra ensuite un diplôme d’œnologie à Montpellier et partira en Australie pendant six mois pour parfaire son anglais. A son retour en France, il poursuivra en master management des vins et spiritueux. A la fin de ses études, il travaillera pour une entreprise de communication à Paris puis pour une liquoristerie à Cognac.
Il intégrera enfin l’entreprise Rémy Martin où il bénéficiera d’une formation de six mois de Brand ambassadeur du groupe Rémy Cointreau[1] pour partir à une année à New-York. L’appel de ses racines, de la terre et du concret le pousse à revenir à Neuillac. Son père ne cache pas l’inquiétude qu’il a eu alors : la distillerie ayant une bonne routine dans le processus de fabrication du cognac depuis quelques années, il craint que son fils s’ennuie. Sept ans après, il n’en est rien ! L’arrière-arrière-arrière petit-fils de Jean Granchère apportera beaucoup de nouveautés et mènera à bien de nombreux projets vertueux pour la distillerie. Enfin pour compléter son cursus, Adrien prépare cette année 2020, un diplôme universitaire Opérateur de Brasserie à La Rochelle.
 

Revenons sur les changements et les transformations éco-durables que connaît la distillerie depuis quelques années. Dans un premier temps, Adrien Granchère fait construire un nouveau chai de 300m², ainsi que de nouveaux bureaux. Pour optimiser l’utilisation des chaudières et des alambics de la distillerie (qui légalement, doivent cesser la distillation de cognac au 31 mars), il décide de distiller du gin et, grâce à l’entreprise indépendante « Distill » qu’il a lancé, le commercialise en bouteille. Depuis deux ans, il travaille également sur un whisky français de belle qualité qui verra le jour en 2021 :
« Nous voulons devenir un acteur qualitatif
majeur dans les whisky français de demain. »

Ce whisky single malt est travaillé grâce aux dix alambics de la distillerie qui fonctionnent « à la main, à l’ancienne ». Cela représente plus de travail mais c’est ce qui
permet d’obtenir un whisky très qualitatif. Enfin, Adrien dirige la transition écologique
de la distillerie :
« Mon objectif est de devenir une distillerie verte,
du moins s’en approcher au maximum ».

Cela part d’un constat : la distillerie possède une DBO5[1] de 500kg qui équivaut à une ville de 8000 habitants. Tout d’abord, l’intégralité de leurs approvisionnements et la majorité de leurs expéditions sont dans un rayon de 30km. C’est le circuit court et local, générant un moindre impact
écologique, qui est privilégié au maximum. La distillerie obtient la certification ISO 22000 pour la production de gin et de cognac il y a trois ans. Elle recycle 100% de ses effluents écoproduits, notamment par le
biais de la méthanisation. Il reste un travail à faire sur les eaux : une méthode de recyclage des eaux de pluie et des eaux de travail par des bacs filtrants de bambous est en cours de finalisation. Cette eau sera ensuite utilisée pour l’irrigation des chantiers de reboisement, de la plantation d’arbre mellifères et des champs transformés en jachères pour les abeilles. Car en effet, Adrien a souhaité que la distillerie œuvre pour la biodiversité en installant des ruches pour une apiculture naturelle, sans production de miel ni exploitation des abeilles : son cycle naturel est respecté. Ces ruches servent d’essaimage et d’indicateur de bonne santé de l’écosystème environnant. D’autres beaux projets sont à l’œuvre.

Il est évident qu’Adrien rend un bel hommage à cet héritage de 150 ans, en inscrivant cette distillerie familiale dans notre monde moderne du 21ème avec ce qu’il peut avoir de positif. Je me suis sentie privilégiée de pouvoir immortaliser en images cette distillerie, d’échanger avec ses
acteurs et découvrir leur histoire.

Pour boucler la boucle en revenant à l’anecdote, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais quand je parlais de ce genre de lieux qui activent notre imaginaire, le mien ne fût pas déçu ! Ce que j’ai découvert des années plus tard en poussant la porte de cet endroit que je trouvais aussi mystérieux que ravissant, a dépassé ces rêveries éphémères. Je crois que leur passion, leur courage et leurs implications pour l’environnement devraient servir d’exemple et cela mérite
d’être connu et partagé ! Dans un climat (sans mauvais jeu de mot) social, politique et écologique si pessimiste, quelle bouffée d’air frais de voir ce genre de bonnes initiatives concrètes !

Concernant les aléas historiques du cognac, je demande à Dominique s’ils ne craignent pas une nouvelle crise du cognac, lié notamment aux dernières décisions des Etats-Unis :
« Nous passons au travers, encore… », c’est effectivement le vin qui est actuellement surtaxé mais pas les spiritueux. Mais, en termes de relations économiques et commerciales internationales, rien n’est jamais acquis ! C’est finalement les effets du Covid-19 en Chine qui commencent à se faire sentir. Car le marché international pour les spiritueux représente plus de 90% de l’activité, avec la Chine comme 2ème pays importateur de cognac. C’est aussi grâce à cette importance du marché international que le cognac a pu résister à de grandes crises nationales,
notamment la plus importante :
celle liée à la loi Evin[1] qui diminuera d’environ 15% la consommation d’alcool et surtout de spiritueux en France. Mais l’histoire de la distillerie de Fontagard nous montre qu’elle saura toujours rebondir si cela est nécessaire et les multiples projets à venir, menés par Adrien, sauront assurer sa longévité et son essor. Bravo à cette famille, pour ce beau respect de l’héritage familial et la réussite. Dominique l’explique, entre autre, par une richesse de belles rencontres.
Je rajouterai par un esprit visionnaire qu’ils se transmettent de génération en génération ! Nous ne pouvons que leur souhaiter un siècle encore de croissance vertueuse, bien initiée.
 
Bien consommer un spiritueux !

Pour Dominique :

Comme nous les consommons en France : purs, en digestif ! A savoir qu’en Chine par exemple, le cognac y est consommé comme le vin en France : « Lorsqu’ils sont invités ils s’offrent une bouteille de Cognac comme nous offrons une bouteille de vin, qu’ils boivent à table pendant le repas. »
Aux Etats-Unis d’Amérique, il est plutôt consommé en cocktail.

Pour Adrien :

Adrien préfère consommer le cognac et le whisky en digestif également, donc sec. Eventuellement, le cognac accompagné de Bitters
« cognac, angostura, glace, un peu comme tu
peux boire les rhums »
. Et le gin, dont vous pouvez acheter la
bouteille à la distillerie, le 7.12 : avec du Tonic !


R e m e r c i e m e n t s :


Merci à Adrien, qui a d’abord accepté que je vienne faire des photos chez eux et qui ensuite, m’a laissé l’opportunité de faire ce reportage complet en allant plus loin que de simples images : merci d’avoir pris du temps pour répondre à mes nombreuses questions et merci de m’avoir permis d’échanger avec Dominique et Marie-Thérèse.

Merci à Dominique de m’avoir reçu pour mes questions, merci pour le retour sur l’article et l’aide pour sa correction.

Un chaleureux remerciement à Marie-Thérèse pour m’avoir accueillie chez elle. Merci de m’avoir si gentiment ouvert les portes de ses souvenirs, merci à elle d’avoir acceptée que je la prenne en photo et merci pour le thé !
Merci à mes relecteurs / correcteurs de confiance : ALB pour la version initiale et RB pour la version finale.

http://www.fontagard.com

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